Sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’hommes, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation évolue …
L’on assiste en effet à un revirement de jurisprudence en matière de licéité et de recevabilité des preuves issues de dispositifs de contrôle de l’activité des salariés.
Preuve en est dans un arrêt du 10 novembre 2021 de la Haute Juridiction (n°20-12263).
1- Bref retour sur les conditions de mise en œuvre d’un dispositif de vidéosurveillance
La mise en place d’un dispositif de vidéosurveillance, comme tout dispositif de contrôle de l’activité des salariés, doit respecter :
- Les obligations générales liées à la protection des données personnelles, c’est-à-dire, celles qui sont prévues par la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 modifiée au regard du règlement européen du 27 avril 2016 relatif au traitement des données à caractère personnel (RGPD) : informations de l’identité du responsable du traitement des données ou de son représentant, de la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par le traitement, des destinataires ou catégorie de destinataires de données, de l’existence d’un droit d’accès aux données les concernant, d’un droit de rectification, d’un droit d’opposition pour motif légitime, d’un droit à l’effacement, d’un droit à la limitation du traitement, et d’un droit à la portabilité ainsi que des modalités d’exercice de ces droits ;
- Les obligations issues du droit du travail: consultation du Comité Social et Economique (CSE) dans les entreprises d’au moins 50 salariés (article L 2312-38 du Code du travail) ; information préalable des salariés (article L 1222-4 du Code du travail qui illustre le principe de loyauté régissant les relations employeurs-salariés) et nécessaire proportionnalité avec le droit au respect de la vie privée des salariés (article L 1121-1 du Code du travail).
Dans cette affaire, le dispositif de vidéosurveillance destiné à la protection et à la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise permettait également de contrôler et de surveiller les salariés.
Or, un tel dispositif n’avait fait l’objet ni d’une information-consultation des élus, ni d’une information préalable des salariés.
Les preuves obtenues par le biais de ce dispositif sont donc illicites.
2- Illicéité du moyen de preuve mais pas irrecevabilité …
Pourtant, ce moyen de preuve tiré des enregistrements de la salariée est certes illicite mais n’est pas nécessairement irrecevable, c’est-à-dire, ne doit pas être écarté des débats.
Ainsi, les juges doivent opérer un contrôle de proportionnalité et mettre en balance le droit au respect de la vie privée et le droit à la preuve.
L’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions susvisées, n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Cette libéralisation du droit à la preuve de l’employeur doit s’accompagner d’une certaine prudence de la part de ce dernier.
Certains salariés pourraient en effet s’emparer des principes dégagés par la jurisprudence pour se prévaloir d’enregistrements clandestins (c’est-à-dire, obtenus à l’insu de l’employeur) …
Ce qui néanmoins pourrait donner lieu à une contre-attaque de l’employeur :
- Au pénal : en portant plainte ;
- Au civil : la seule atteinte au respect du droit à la vie privée ouvre droit à réparation.
Cass.soc. 10 novembre 2021, n° 20-12263